LA TROUPE
2 cafés qui peuvent contenir chacun 120 personnes. Au premier étage, le La Marna Repertory Theatre et, au second, le La Marna Experimental Theatre Club.
Après huit ans de lutte continuelles contre les règlements du feu, le service des bâtiments, le syndicat et les critiques qui ne voulaient pas assister à ses spectacles parce qu’elle utilisait des acteurs non syndiqués, Ellen Stewart est parvenue à réunir les 103.000 dollars nécessaires à l’aménagement de cet immeuble, grâce à Rockefeller, à Ford et à quelques dons de ses amis et des auteurs qu’elle a lancés sur la voie du succès.
L’aventure commence en septembre 1961, quand Ellen Stewart, son frère Fred et un écrivain, Paul Foster, décident d’aménager un sous-sol pour y jouer leurs pièces. Pour se donner du courage, Ellen, son frère et Foster choisissent pour leur premier spectacle, le 27 juillet 1962, une adaptation d’un nouvelle de Tennessee Williams : « Un Bras ». Le sous-sol peut contenir 25 spectateurs, mais on joue parfois devant 4 ou 5 personnes. Mais dès l’automne de 1962, le public afflue et la salle est bientôt retenue 5 mois à l’avance. A raison d’un nouveau spectacle par semaine, on joue du vendredi au dimanche soir (200 pièces seront ainsi créées). La Marna devient un des supports du Jeune Théâtre New-Yorkais, mais comment sortir du cercle d’amis et de sympathisants ? Ellen mène alors un combat sur trois fronts : contre les services de la ville qui exigent des installations électriques et sanitaires coûteuses, contre le silence des critiques (seule la Village Voice signale les pièces), contre Actors Equity, le Syndicat des Acteurs.
Elle doit changer de local : 9, Rue, puis 122 Seconde Avenue.
Le silence des journaux n’était pas dirigé spécialement contre La Marna. Ils obéissaient à un règle très stricte : ne pas mentionner de spectacle dont les acteurs n’étaient pas syndiqués. On échappait ainsi aux sollicitations de dizaines de troupes d’amateurs en soutenant du même coup la profession (Ellen Stewart, à deux reprises, loua des théâtres off Broadway et signa des contrats· avec le Syndicat des Acteurs, pour permettre aux critiques d’exercer leur métier).
La Marna a compris très tôt, par exemple, ce qu’une tournée en Europe pourrait signifier pour la renommée et la stabilité de son entreprise : dès novembre 1964, elle est à Paris, en 1965, deux metteurs en scène et quatorze acteurs emportent les costumes de 21 pièces et s’embarquent pour l’Europe. Un nouveau voyage en juin 1967 complète ce tour des capitales. La Marna est connue aujourd’hui en Europe, ce qui renforce la position du Group et de ses auteurs aux Etats-Unis.
LE SPECTACLE
La venue du célèbre Marna Expérimental Théâtre Club de New-York constituera sans doute l’un des événements culturels de la saison.
Deux représentations seulement seront données en France, l’une à Cergy-Pontoise et l’autre à Thonon-lesBains.
Le jeune metteur en scène roumain, Andréi Serban a choisi un chef-d’œuvre éprouvé de la tragédie grecque classique : Les Troyennes. Plus qu’une tragédie, il s’agit là d’une chronique, d’un oratorio même où des femmes chantent leur douleur. La vieille Hécube, veuve de Priam, Andromaque, veuve d’Hector dont les Grecs vont assassiner le fils Astyanax et toutes leurs compagnes d’infortune se lamentent sur leur sort, tandis que Cassandre, la folle, prédit avec une joie sauvage la perte des destructeurs de Troie. Les passions individuelles s’exhalent dans un effroyable malheur collectif.
Pour le traduire, Andrei Serban utilise le grec ancien. Il nous permet ainsi une nouvelle et passionnante approche de l’action. L’anecdote s’efface au profit d’états émotionnels d’une grande pureté. Les passions essentielles de la tragédie, les émotions intenses ou familières, sont reçues au-delà des mots. La langue devient musiqùe et rythme.
A chaque instant, la diversité sonore, l’intensité admirable des tableaux, captivent l’attention du spectateur. Tous les acteurs jouent sur des registres vocaux étonnants : cris, murmures, sons gutturaux. C’est un univers sonore étrange et saisissant qui atteint une rare violence. Andrei Serban a travaillé avec Peter Brook. Comme lui, il va à l’essentiel et utilise l’ensemble du lieu théâtral pour rompre la barrière traditionnelle entre l’acteur et le public.