Hors du monde, et pourtant universel, c’est ajnsi que Peter Brook monte TIMON D’ATHENES de William Shakespeare. L’action est nulle part, ce qui veut dire partout : dans le temps d’abord, par les costumes qui vont du smoking à la toge, de la botte d’égoutier à la sandale, réduisant toutes les modes à une même identité ; dans l’espace ensuite, par les comédiens qui, Français, Américains, Jaunes, Noirs, ramènent à une même et irréductible unité, celle de l’homme ; dans la mise en scène enfin qui, abolissant la rampe, faisant surgir l’acteur des quatre points cardinaux, le rend frère et complice du spectateur. Le sujet, pris au premier degré, est universellement intelligible : quelque part, un homme riche, prodigue, devient pauvre, ses amis l’abandonnent, le choc est rude, il fuit au désert, prend en haine le genre humain et meurt inconsolable.
Sans hésitation, Brook joue cette histoire. Rien de plus. Tout est dedans. Et d’abord l’or : Timon d’Athènes est la seule tragédie où l’or se substitue aux Dieux. Tragédie moderne de l’homme monnayable et de chaque chose monnayable. Voici le temps venu où tout ce qui jusqu’alors était inaliénable, vertu, amour, science, conscience, amitié, devient échange, commerce. Timon le découvre et en meurt. Timon voit, la pauvreté venue, que tous ses rapports àmicaux étaient inauthentiques, qu’il achetait ses all)is, c:’est-à-dire des objets, et que pour ses amis il n’était que de l’or, c’est-à-dire un objet.
Cette révélation le ramène à son néant. Toute la seconde partie se réduit, en apparence, aux imprécations d’un
monomaniaque. Mais là encore, Brook humanise : Timon n’est pas seulement furieux, mais désespéré ; il tente de renouer avec les hommes ; il ne le peut, l’or est toujours là, entre eux, comme un mur…
Tel est le grand spectacle que propose Peter Brook. À la fois diaboliquement intelligent et merveilleusement simple. Le jeu est libre, sans arrière-pensée, sans aparté, au grand jour – la salle est entièrement éclairée – tout dans l’espace, purement physique.
TIMON D’ATHÈNES
Distribution
De William SHAKESPEARE par le Centre International de Créations Théâtrales Mise en scène : Peter BROOK Adaptation française : Jean-Claude CARRIERE Costumes : Jeanne WALCHEVITCH Collaboration à la scène : Yutaka WADA |