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La Cantatrice chauve

« Une des raisons pour lesquelles La Cantatrice chauve fut ainsi intitulée, c’est qu’aucune cantatrice, chauve ou chevelue, n’y fait son apparition, » nous dit Eugène Ionesco. Le ton est donné, pour cette « anti-pièce » comme le dit le sous-titre, un monument du théâtre de l’absurde, inspiré de la lecture d’une méthode d’apprentissage de l’anglais. Monsieur et Madame Smith reçoivent les Martin à la maison… Ils parlent de choses et d’autres sans rien échanger de personnel, on pense d’abord à une comédie de boulevard, une pièce intimiste à thèse, et puis cela dérape…  Il y a là la pipe, le fauteuil, le journal, la nurse : tous les indices d’une bourgeoisie évaporée dans un délicieux nuage d’absurdité. Critique acerbe d’un milieu social qui tourne à vide, satire du conformisme ou traité sur la vacuité du langage ? Tout cela à la fois. Mais aussi « comédie de la comédie », qui fait voler en éclats toutes les conventions théâtrales, ce qui ne peut que réjouir le metteur en scène Pierre Pradinas qui y lit une interrogation sur la raison d’être de la représentation elle-même, une œuvre qui abolit les  frontières entre le comique et le tragique. 

” Ionesco ne nous accable pas, il partage avec nous l’absurdité de nos postures, il nous fait rire de nous-même et ce n’est pas désespérant parce que grâce à lui, on se comprend mieux, et on est pris d’une furieuse envie de réagir. ”  Pierre Pradinas

Les Chaises

Tout à fait représentative du style d’Eugène Ionesco et de son théâtre de l’absurde, Les Chaises pose les questions de la communication profonde entre les êtres, de la solitude existentielle, de l’humanité, de la perception du réel. Comme souvent chez cet écrivain, la pièce repose sur une ambivalence déroutante et oscille en permanence entre comique et tragique, rêve et cauchemar. Le maître du théâtre de l’absurde, pour qui le comique est tragique et la tragédie de l’homme, dérisoire, voyait cette pièce comme une « farce tragique ». Le choix de Michel Robin et de Clotilde de Bayser, tous deux sociétaires de la Comédie-Française, dont la différence d’âge est grande, peut surprendre. Pourtant ce décalage sert la pièce, comme renforcement de l’absurde ou comme métaphore de la vieillesse et de l’enfance.

Deux vieux, âgés de 94 et 95 ans, vivent isolés dans une maison située sur une île battue par les flots.
Attendrissants et pathétiques à la fois, ils tentent de combler le vide existentiel qui les entoure en se réinventant un univers peuplé de personnages du passé. Ensemble, ils ressassent de vieux souvenirs des vestiges de leur jeunesse passée ou bien des plaisanteries qu’ils se répètent chaque soir depuis des dizaines d’années. Mais le vieil homme, auteur et penseur, détient un message universel qu’il souhaite révéler à l’humanité. Il a réuni pour ce grand jour d’éminentes personnalités du monde entier. Au fur et à mesure que les invités imaginaires arrivent chez les vieillards, ceux-ci accumulent les chaises pour les accueillir et sont très vite submergés par un flot de chaises multicolores qui les éloignent petit à petit l’un de l’autre, chacun étant occupé à parler à son voisin qui n’existe que dans sa pensée.

La Cantatrice chauve

En 1991, Jean-Luc Lagarce présentait sa version très personnelle de La Cantatrice chauve qui devint l’un des plus grands succès du théâtre français des années 90. Sept ans après le décès du metteur en scène, François Berreur et les comédiens du Théâtre de la Roulotte lui rendent une sorte d’hommage en faisant découvrir à ceux qui ne le connaissent pas, l’artiste, son univers, sa particularité. Une façon aussi de confronter leur réalité avec leur souvenir et de s’interroger quant au processus de création : Pouvons-nous avec notre expérience de plateau reprendre un spectacle sans trahir l’esprit de la création en l’absence du metteur en scène ?

La Cantatrice chauve, dont le sous-titre est anti-pièce est une farce, une plaisanterie, une fantaisie intellectuelle, une guignolade où abondent les jeux verbeux et les non-sens. En 1950, elle déclencha la colère des critiques : « canular! » s’écrièrent-­ils presque en chœur. Depuis, la première pièce de Ionesco est devenue un classique du 20e siècle et tient l’affiche, sans interruption, au Théâtre de la Buchette depuis 1957… Jean-Luc Lagarce l’a revisitée, en a bousculé le ton tragique et l’a menée au bout de l’absurde. Les deux couples de la pièce, les Smith et les Martin sont devenus les héros d’un feuilleton télévisé à l’américaine ponctué de rires enregistrés et d’un numéro de music-hall. Jonglant habilement entre loufoquerie et corrosion, il a réussi à pousser le rire à son extrême.

Le roi se meurt

Dans un pays imaginaire, un vieux roi solitaire s’accroche à son rêve d’immortel, à son pouvoir éternel. Puis un jour viennent les chimères. Les chimères d’où ne résonnent que l’anarchie et l’horreur. Cet univers qui se détruit n’est alors que la projection du mental d’un roi qui se désagrège, entraînant tout dans son néant. Seulement pour que la vie reprenne, il faut que le roi passe, que le roi meurt afin que tous puissent hurler ensemble à nouveau : « Vive le roi« .

C’est donc à cette cérémonie, farce métaphysique du grand départ du roi, que nous convie Ionesco. Obligeant à regarder en face ce qui nous fait si peur, il nous fait rire de nous-même, de nos angoisses, de nos terreurs.
Et dans le rôle de Béranger 1er, Michel Bouquet. Admirable !

LES CHAISES

Les Chaises, farce tragique, a été jouée pour la première fois le 22 avril 1952 au Théâtre de Lancry aujourd’hui disparu.
La mise en scène était de Sylvain Dhomme et les décors de Jacques Noël. Comme pour La Cantatrice Chauve et La Leçon ce fut un médiocre insuccès. Cependant, Ionesco dit qu’avec Les Chaises, les choses commencèrent à prendre de l’ampleur : huit personnes mécontentes assis­taient tous les soirs au spectacle, mais le bruit que faisait cette pièce était déjà entendu par un nombre bien plus grand de gens à Paris, en France, jusqu’aux frontières allemandes.
Reprise en février 1956, puis en mars 1961 par Jacques Mauclair au Studio des Champs-Elysées, la pièce est aujour­d’hui considérée comme l’une des plus abouties de l’œuvre de Ionesco.

INTRODUCTION AU SPECTACLE :
Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est pas possible. Sans l’état de dégénérescence où nous sommes, c’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits.
(Antonin ARTAUD : Le Théâtre de la Cruauté)
Le théâtre est le domaine de l’imagination et du rêve. L’intel­ligence est enfermée dans les concepts ; elle assimile la logique et la chronologie. Seule la pensée onirique peut retrouver des enchainements et une durée véritable, inter­roger le réel, dévoiler ses significations. Elle seule peut rendre au théâtre ses pouvoirs perdus.
(Claude ABASTADO: Eugène Ionesco)
Les intérieurs des maisons sont pour les autres des nids, des abris ; pour moi ce sont des tombeaux. Quand je rêve de l’intérieur d’une maison, elle s’enfonce dans la terre humide. La terre n’est pas la sécurité pour moi. Elle est la décomposition. Ce à quoi je m’oppose. L’eau pour moi n’est pas l’abondance ni le calme, ni la pureté. Elle m’apparait généralement comme sale. Elle est image d’angoisse. L’eau engloutit, ou au moins salit (salir, c’est menacer de mort). Elle est encore décomposition.
(Eugène IONESCO : Journal en miettes)

TUEUR SANS GAGES

C’est une des plus attachantes pièces de Ionesco. Une œuvre à la fols naïve et forte qui frappe par sa modernité. Nous sommes eu lever du rideau dans la cité radieuse, une ville bêtle avec goût, et qui a tout pour rendre ses habitants heureux. L’environnement y est réussi. Hélas ! Un tueur fait des ravages dans la cité, il tue des innocents et personne ne s’en soucie. li n’y a que le doux Bérenger (J. MAUCLAIR) pour s’élever contre ce criminel et dans toute la seconde partie de la pièce, Béranger se heurte aux ricanements du monstre. On rit au début et on frémit à la fin : TUEUR SANS GAGES est une pièce sur le mal qui fait sourire et qui fait mal. – PARIS-MATCH