User de l’humour pour mettre la philosophie à portée de tous est le pari réussi par le philosophe et dramaturge Alain Badiou. L’ironie mordante et la subtilité des dialogues font d’Ahmed un maître de philosophie qui, par le rire, enseigne aux plus jeunes que la langue, maternelle ou d’adoption, est la meilleure des armes pour affronter la société et que sa maîtrise est la clé du bonheur et de la liberté. Grégoire lngold, nous avait offert son Extravagant Monsieur Jourdain la saison dernière et ne pouvait qu’être séduit par ce personnage proche de Scapin et d’Arlequin qui nous rappelle qu’au fronton de certains théâtres à l’italienne – comme le très joli Théâtre du Casino d’Evian – figurait la devise Castigat ridendo mores ; critiquer (et transformer) les mœurs avec l’arme du rire.
Ahmed, philosophe bondissant, jovial et raisonneur vit dans une cité de banlieue. Dédaigné et invisible pour tous, il n’a pas la vie facile et se demande comment se faire une place quand on est à la fois d’ici et d’ailleurs. C’est alors qu’il découvre que la langue est un instrument de pouvoir et de liberté. À partir de là, sous forme de saynètes drolatiques, savoureuses et impertinentes, ce Scapin des temps modernes, tantôt seul, tantôt avec un interlocuteur interroge les notions essentielles de la philosophie (le rien, le multiple, le hasard, le temps, la morale, Dieu, etc.).
Et puisque personne d’autre ne veut le faire, il décide d’enseigner la philosophie aux enfants, qui reconnaissent en lui un complice au monde des questions. Le dialogue de la dispute, en tant que genre, opère un déplacement du mode de représentation (…). C’est cette capacité à produire un tel événement qui fait du dialogue philosophique un acte éminemment théâtral. Ahmed, comme Socrate ou Tabarin, ont cette même qualité – ils nous entrament, irrésistiblement, à entrer avec eux dans cette réalité de fiction où l’esprit pétille, où le temps du théâtre est un pur moment de jeu partagé.
Grégoire lngold – Metteur en scène
