Sur le ton de la chronique, propre à l’univers du réalisateur, c’est tout un microcosme d’individus qui prend vie. À partir du quotidien de ces êtres en marge suivi au jour le jour, mais sur une période très courte, le film leur fait atteindre, au-delà de l’information ponctuelle, valeur d’exemple universel. Pourtant, au début, ça n’a l’air de rien. Le petit péri-mètre de trottoir devant la fontaine Saint-Michel, en plein quartier latin à Paris, traîne encore son cortège de folk!ore misérabiliste pour touristes : le petit baba mignon qui racole cent balles au passant y côtoie gaiement le clodo au litron, ou le zonard « qui fait peur » et sa veste de cuir à clous. Pas rassurant, mais déjà stéréotype. D’où viennent-ils ? Au-tre question à cent balles ! Au fond d’une impasse, huit per-sonnages peu à peu se présentent à nous, d’abord globa-lement, dans leur vie de quartier, menacée par les promo-teurs et la grue démolisseuse qui déjà s’installe, puis d’une façon plus individualisée. Presque sur un mode fictionnel, ces personnages — le mot est approprié — sont mis en place comme si on allait nous raconter une histoire. Lorsque l’intermédiaire, l’interviewer, est au stade de la pleine confiance avec eux, les deux jumeaux Alain et Denis dits 37,2 et 37,4, nous déballent le catalogue du parfait petit camé : les bouteilles d’éther soigneusement rangées, les seringues, etc., en fait ça a l’air tout simple, il n’y a vrai-ment pas de quoi prendre un air contrit et faussement grave. La drogue, ce n’est pas la mythologie des bandes propa-gandistes ministérielles, elle est tout bêtement là, au coin de la rue, pas moins anodine, dans ses apparences, que le reste. Seulement voilà ! c’est justement cela qui est terrifiant Dépassant la simple transmission d’une confession, la ca-méra insiste : unis d’un amour évident et émouvant dans sa simplicité, ces deux frères en sont déjà, à vingt ans, à fixer une échéance à la fin de leur vie : ils se donnent jusqu’à vingt-cinq ans ! C’est cette progression, du banal carte postale jusqu’au tragique ignoré, qui fait toute la force du film. Le mérite du réalisateur est de faire basculer des notions acquises vers un réalisme irréversible, parce que bien réel, de placer le spectateur dans une position extérieure certes mais sans retour, sans retour autre en tout cas que celui d’un profond bouleversement d’habitudes de pensée, si ce n’est celui d’une véritable prise de conscience. Pas d’échappatoire vers le boy-scoutisme. Le film ne fait pas que restituer à ces « marginaux » une parole occultée, les fait vivre, il leur rend quelque chose d’essentiel : le droit d’exister.
Gilles Colpart. (La Revue du Cinéma)
COMME LES ANGES DÉCHUS DE LA PLANÈTE SAINT-MICHEL
Distribution
De Jean SCHMIDT France, 1978 / Durée : 1h30 |