Il faudrait dire : voilà, on est sur le quai de la gare d’Essen, face à l’entrée du souterrain. Il faudrait décrire, simplement l’image, le décor, les lignes, et, dans cet espace, les mouvements, les déplacements des personnages, dire ce qu’ils disent, signaler qu’ils se taisent, ou pleurent, ou sourient. Ne pas orienter le regard, la pensée. Etre l’écho fidèle, et rien que l’écho, d’un film qui, précisément, reuse de prendre le spectacteur par la main pour lui expliquer ce qu’il faut voir et comprendre. Un film qui montre les gens, là, dans leur cadre, comme on les voit, et on a le temps et l’espace d’affiner soi-même son regard, de préciser sa vision. Un film qui ne répond pas à votre place. Un film où on a sa place. Où on se la fait. Disons, donc, ceci : Anna est cinéaste, elle va montrer son film à Essen, en Allemagne, où elle fait la connaissance d’un instituteur ; à Cologne, elle retrouve une amie de sa mère, puis, dans le gain, rencontre un ex-révolutionnaire ; à Bruxelles, elle parle avec sa mère, qu’elle n’a pas vue depuis longtemps ; de retour à Paris, elle passe la nuit avec un ami, puis rejoint, seule son appartement, où l’attendent les appels enregistrés sur son répondeur téléphonique. Déambulation, voyage, errance, et rencontres en des lieux transitoires : gares, trains, hôtels. Anna est de passage, et c’est son mode de vie, sa façon d’être : elle n’est nulle part, nomade vouée à l’exil. Elle passe, et les autres lui parlent, l’espace d’un instant, l’instant d’un espace. Ils parlent d’eux, de leurs vies un peu perdues, désorientées, en équilibre instable sur le bord d’ils ne savent trop quoi, et à travers leurs histoires parle l’histoire de l’Europe en crise, économiquement, po itique-ment, sociWement, moralement.
Gilbert Salachas (Télérama)
LES RENDEZ-VOUS D’ANNA
Distribution
De Chantal AKERMAN France-Belgique, 1978 / Durée : 2 heures |