Vers toi, Terre promise apparaît comme le plus grand succès de Jean-Claude Grumberg depuis l’Atelier, en 1979. Et son sous-titre, Tragédie dentaire, donne le ton à cette histoire qui mêle tout à la fois dérision et drame. L’auteur a plongé dans ses souvenirs pour en nourrir le fil. Enfant, alors qu’il fréquentait assidûment leur cabinet dentaire ou « trône des douleurs », il fut le témoin de la tragédie vécue par le couple de juifs qu’il dépeint. La mise en scène de Charles Tordjman, très sobre, superpose les registres réaliste et poétique en créant un espace mental qui serait celui de la mémoire. Portée par l’humour et l’autodérision, la pièce, qui aborde nombre de sujets douloureux, ne verse pourtant jamais dans le pathétique.
Le spectacle Vers toi, Terre promise parle de l’effondrement d’une famille après le génocide, de la difficulté de se reconstruire et de continuer à vivre, de la douleur des êtres qui ne connaîtront jamais l’oubli refusant les illusions de la religion et de l’espoir qu’elle chante. A la sortie de la Shoah, les Spodek ont perdu leurs deux filles, l’une déportée et décédée à Auschwitz, l’autre convertie au catholicisme et devenue carmélite. Dans le même temps, ils ont perdu leur cabinet dentaire. Rongés par la douleur, ils n’arrivent pas à faire leurs deuils. Charles Spodek, impuissant à cicatriser ses blessures, convainc sa femme de partir en Israël, non pas vers l’espoir d’une nouvelle vie mais en exil de lui-même.
Tout cela pourrait constituer la base d’un drame réaliste lourd, voire indigeste. C’est sans compter sur l’écriture de Jean-Claude Grumberg qui mêle le rire aux larmes et les larmes aux rires tout au long de la pièce. C’est sans compter sur les acteurs virtuoses qui interprètent avec grâce ce beau moment d’humanité.
