LES TRAVAUX ET LES JOURS

Des tables de bureau délimitent l’espace scène, bas de plafond et fermé par d’amples rideaux. Matériel neutre, téléphones et dossiers, atmosphère feutrée, on entre sans faire de bruit dans les services après-vente de l’entreprise Cosson, spécialiste des moulins à café. Le travail est ici une affaire de «coeur». Les appareils Cosson ont une bonne image de marque et les clients qui téléphonent sont pris en charge par des employées qui pourraient tout aussi bien travailler à SOS-Amitié. Les voix se font douces, apaisantes. Un appareil défectueux, c’est comme une faille dans l’équilibre de la clientèle. L’entreprise marche bien, si bien même que, pour être à la hauteur de son développement, elle est obligée d’accepter son absorption par une multinationale de nationalité américaine. On connait la suite, on la vit tous les jours. Restructuration de la maison Cosson, menaces sur l’emploi, bouleversement des habitudes. Le petit service n’y survivra pas. L’intérêt de la pièce de Vinaver n’est pas de raconter une histoire déjà connue. La description des rapports de travail entre cinq personnes (trois femmes employées, un technicien et un chef de service), même agrémentée de relations affectives, n’est pas pour l’auteur une fin en soi. Entre les tâches routinières quotidiennes, se glissent des bribes de la vie privée de chacun. L’univers familial, affectif des trois femmes et des deux-hommes se compose et s’enrichit par touches succéssives. D’autres lieux, d’autres personnages apparaissent : des silhouettes d’enfant fugueur, de père torturé et abattu dans les prisons franquistes, de mari moins présent viennent se glisser dans l’ima-ginaire déjà créé.
Jean Louis MINGALON, Le Matin