Je me demande combien de gens, en écoutant chanter Henri TACHAN, se rendent compte qu’il appelle au secours ? Combien perçoivent sa détresse à travers les postillons dont il inonde les premiers rangs de l’orchestre ?
Voici quelques années, comme je me trouvais chez un grand impresario de music-hall, et alors que nous avions discuté l’affaire qui m’amenait chez lui, ce dernier me dit soudain :
– Si tu as encore une minute, je vais te faire écouter le premier disque d’un nouveau. Tu verras, c’est spécial.
Je lui fis observer en riant qu’un disque durant environ trois minutes, il m’en fallait par conséquent plus d’une pour apprécier celui-ci. Ce en quoi je me trompais.
Car il ne me fallut pas soixante secondes pour être conquis, pour identifier le talent ; pour entendre le grand cri désespéré d’Henri Tachan ; pour reconnaitre la qualité de son inquiétude ; pour savoir, enfin, qu’il se passait des « choses » en lui !
– Tu ne trouves pas ça un peu… heu… violent ? s’inquiéta l’impresario après l’audition…
– Oh, non ! lui dis-je, ce n’est pas violent mais angoissé. Il crie à l’aide, ton Tachen, tu n’entends donc pas ?
Par la suite, longtemps après, je fis la connaissance d’Henri et je pus m’assurer que je l’avais bien compris, bien « reconnu » dès sa première chanson : Il y e des accents qui ne trompent pas, des formules qui vous vont droit à l’âme, Un tourment que les tourmentés captent d’emblée.
Si Tachan a la détresse hargneuse, c’est par pudeur. Il crache des invectives parce qu’elles nouent la gorge, permettant ainsi de dissimuler la peine.
Crier est un remède contre les larmes.
Chanter aussi, je pense ?
Lorsque Tachan déboule en scène, petit et noir, étincelant comme une cassure d’anthracite, le front buté, le regard pointu, la lèvre en gouttière, déjà en sueur, déjà écumant, j’ai chaque fois l’impression de voir surgir un taurillon, fou. furieux avant même sa sortie du toril.
Et, en effet, la scène est bien pour lui une arène où il vient se battre, où Il essaie d’expliquer aux hommes que, selon lui, rien ne va très bien et qu’ils ne font pas grand chose pour que cela aille mieux. Il vient leur parler d’eux, de cette grande misère d’être qui nous dévaste, nous détruit, après nous avoir rendu indignes de nous-mêmes. Bagarreur ardent, il se bat d’abord avec les mots. Lutte ardente et noire ! La plus intense peut être de celles qu’il a entrepris de livrer. Les mots ! Les mots si éloignés de notre pensée, si évasifs, si approximatifs, si traitres… On devine qu’il les a cherchés, pétris, rejetés, puis récupérés en désespoir de cause, parce qu’il faut bien. tout de même de la couleur pour peindre ! Mais on sent bien qu’ils ne le satisfont pas, qu’il les hait cordialement et qu’il voudrait trouver des mots… pour flétrir les mots ! Ensuite il se bat avec le public. Il tambourine à ses tympans pour se faire entendre coûte que coûte, lui, déverser bon gré mal gré dans le cœur ses hantises et ses espoirs.
Dans sa fougue, Tachan lui crache au visage sans s’excuser, sans seulement s’en apercevoir.
Car il est en transe. Il flambe haut et dru !
Frédéric DARD (San Antonio)
HENRI TACHAN
Distribution
Avec Alain CHEVALIER et Femarid BERSET |