EN ATTENDANT GODOT

La carrière d’EN ATTENDANT GODOT, tout à fait surprenante, fut amonge sous de mauvais auspices. Les directeurs de salle refusèrent tout d’abord de monter la pièce… qui se révéla bientôt l’un des chefs-d’oeuvre de l’avant garde et acquit une réputation mondiale. Créée enfin le 5 janvier 1953, au Théâtre de Babylone, dans la mise en scène de Roger BLIN, après trois années d’errance, cette première pièce jouée de BECKETT resta à l’affiche pendant plus d’un an, à la grande surprise de ses interprètes qui pensaient ne devoir la jouer que quelques jours. ANOUILH disait, évoquant la part de farce des pièces de BECKETT, qu’on y trouvait « LES PENSÉES DE PASCAL JOUÉES PAR LES FRATELLINI ». Depuis, l’aspect clownesque des personnages de BECKETT a alimenté les intreprétations les plus fantasques. On a souvent accentué cet aspect à outrance au risque de déséquilibrer la pièce. Bien entendu le rire est sans cesse présent chez lui, mais il est grinçant, arrêté, pense Roger BLIN.

Dans EN ATTENDANT GODOT les personnages sont suffisamment conscients que le langage est leur seule manière d’exister ou de résister pour tenir le silence au loin. Il y a chez BECKETT un degré d’incertitude, d’ignorance et d’impuissance proprement angoissant. L’homme ici se trouve réduit à une forme d’immobilité, de silence et de néant, qui se dégrade sans jamais parvenir à un aboutissement. Même la mort est impossible « PARCE QUE, DÉJÀ MORT, L’HOMME N’EN FINIT PAS DE MOURIR ». Main ROBRE-GRILLET a souligné que la « SEULE CHOSE QUE LES PERSONNAGES N’ÉTAIENT PAS LIBRES DE FAIRE, C’ÉTAIT DE S’EN ALLER, DE CESSER D’ÊTRE LÀ ». Et, bien que, les deux dernières répliques de GODOT annoncent l’intention de partir des personnages, ils ne bougent pas, prisonniers de l’attente. Celle de GODOT dont l’absence devient progressivement aussi réelle qu’une présence. Cette vision de la condition humaine, l’apparition dans le désespoir général, de la tendresse et de l’humour ont, dès la lecture, frappé Roger BLIN. « JE NE DIRAI PAS QUE JE SUIS ENTRÉ DE PLAIN-PIED DANS LA PIÈCE, explique-t-il, MAIS J’Y AI RECONNU UN CLIMAT QUI M’ÉTAIT PROCHE, DANS LA MESURE OÙ J’AVAIS ETE MOI-MÊME BOULEVERSÉ PAR LE MUSIC-HALL ANGLAIS ET LES COMIQUES AMÉRICAINS, HARRY LANGDON, CHAPLIN ET KEATON ENTRE AUTRES ». On a beaucoup épilogué sur l’origine de GODOT qu’on a voulu identifier à Dieu, quoique BECKETT s’en défende et prétende que le mot vient de GODILLOT. Après son entrée au répertoire, cette pièce qui fut l’un des grands moments de la production théâtrale de l’après guerre, vient remettre en question les schémas habituels des classiques et des modernes, puisqu’en quinze ans elle est véritablement devenue un classique moderne.