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BÉRÉNICE

« Évidemment, ce n’est pas simple. On n’est pas dans le premier degré. On ne l’est jamais avec VITEZ. Alors, on entend des ricanements dans le public. Parfois même un spectateur se lève et sort. Comment lui en faire un procès ? Il n’est pas forcé de comprendre le sens de ces simagrées, de ces outrances, de ces gesticulations, de ces vociférations qui, de loin en loin, jalonnent le cours d’une déclamation le reste du temps exemplaire. Le vrai public vient ici pour entendre, voir, comprendre BÉRÉNICE dans sa limpidité première. Il est terriblement dérouté par ce qu’y ajoute VITEZ. Nous mêmes, qui avons tellement l’habitude de VITEZ, nous ne lisons pas clairement dans toutes ses intentions. Nous nous piquons au jeu auquel il nous convie, nous entrons dedans, nous cherchons les clés des mystères VITEZ, c’est une course au trésor. Alors les lecteurs nous disent : vous exagérez pensez donc à nous, votre parisianisme est indécent.
Les lecteurs se trompent. D’abord VITEZ ne se résume pas à cet extravagant et parfois contestable baroquisme dont il a fleuri certains moments de son spectacle. Celui-ci est dans son ensemble d’un classicisme raffiné, tel qu’on le traduisait à la cour du roi, et la fidélité de VITEZ à la représentation racinienne de BÉRÉNICE est remarquable, élégance du décor, majesté du rituel théâtral, théâtralité du geste, profondeur de la diction : tout y est à la perfection. Ce mariage de lyrisme et de préciosité a beaucoup d’allure. De surcroit, VITEZ donne une chair aux personnages. Qui le lui reprochera ? Pourquoi ne se limite-t-il pas à cette épure, pourquoi ne va-t-il pas. jusqu’au bout de cette logique classique, qui n’exclut pas la personnalité, pourquoi un autre VITEZ vient-il greffer sur le travail du premier VITEZ ce que beaucoup prennent pour des excentricités ? Et comment faire comprendre qu’il s’agit en fait du même VITEZ, l’un jugeant ce qu’a fait l’autre ; l’un lisant Racine et l’autre faisant sur Racine et sur son époque un travail critique au, moyen de procédés théâtraux qui sont forcément scies procédés caricaturaux ; l’un traduisant le cours solennel et contenu, si beau, si calme, si sagement poétique du texte de BÉRÉNICE, et l’autre soulignant ce qui court sous ce texte de passion tumultueuse, folle, tragique, et le soulignant par des moyens excessifs car il s’agit de pulsions excessives vite réprimées. Le théâtre de VITEZ est comme une messe. Les gestes y ont un sens. Le célébrant connait mieux que personne les canons. Il les dit. Mais entre deux versets, non sans ostentation, il proclame sa foi personnelle, pour éclairer les fidèles. Ce saint-là exige du troupeau une certaine sainteté. Athées s’abstenir ».
Philippe TESSON, LE CANARD ENCHAINÉ.